Lecture et écriture scientifique "dans le ciel" Une anomalie post-gutenbergienne et comment la résoudre

Stevan Harnad
Centre de Neuroscience Cognitive
Université du Quebec à Montreal
CP 8888  Succursale Centre-Ville
Montréal,  Quebec,  Canada  H3C 3P8
harnad@uqam.ca
http://www.cogsci.soton.ac.uk/~harnad/

Une ligne de partage, profonde et essentielle, va se creuser dans la galaxie post-gutenbergienne entre les oeuvres en accès payant (livres, magazines, logiciels, musique) et les oeuvres en accès libre (dont l´exemple le plus représentatif est celui des articles scientifiques soumis à l´évaluation des pairs). Ignorer cette distinction provoque la confusion et retarde l´inéluctable transition, s´agissant des travaux en accès libre, vers ce qui constitue la meilleure solution pour les chercheurs : que les quelques deux millions d´articles scientifiques publiés chaque année à travers le monde, toutes disciplines et langues confondues, dans les quelques vingt mille revues à comités de lecture existantes, soient libérés en ligne par l´auto-archivage des auteurs et des institutions : http://www.eprints.org. Ce texte tente de montrer comment les questions de copyright, de l´évaluation par les pairs entre autres thèmes controversés peuvent être éclaircies à condition de bien faire la distinction entre accès libre et accès payant.

Une anomalie post-gutenbergienne

1. Un jeune chercheur ayant tout juste obtenu son doctorat annonce fièrement à sa mère qu´il vient de publier son premier article. Elle lui demande combien il a été payé. Il grimace, répond : « Rien » et se lance alors dans une explication longue et compliquée...

2.Un chercheur de la même université voit une référence à cet article. Il se rend à la bibliothèque pour l´obtenir. On lui répond : « Nous ne sommes pas abonnés à cette revue, trop chère pour nous (notre budget d´abonnements, de droits, de prêt et de reproduction est déjà largement dépensé). »

3. Un étudiant, dans la même université, voit le même article cité sur le Web. Il clique sur la citation. Le site de l´éditeur demande un mot de passe : « Accès refusé : seules les institutions autorisées et ayant souscrit un abonnement payable d´avance ont accès à la revue. »

4. L´étudiant perd patience, s´ennuie et clique sur Napster pour mettre la main sur la version MP3 de son CD pirate favori et se consoler ainsi de ses malheurs.

5. Des années plus tard, la titularisation du docteur du point 1 est envisagée. Ses publications sont bonnes, mais pas assez citées ; leur « impact sur la recherche » n´est pas suffisant. Titularisation refusée.

6. Le même scénario se répète lorsqu´il essaie d´obtenir des crédits de recherche. Ses résultats scientifiques n´ont pas eu un impact suffisant. Trop peu de chercheurs les ont lus, s´en sont inspirés et les ont cités. Financement refusé.

7. Il essaie alors plutôt d´écrire un livre. Les éditeurs refusent de le publier : « On n´en vendrait pas assez d´exemplaires car il y a trop peu d´universités ayant suffisamment d´argent pour en payer le prix (leurs budgets d´achat sont limités par le coût annuel, sans cesse croissant, de leurs abonnements, droits et prêts). »

8. Il essaie de mettre ses articles sur le Web, en accès libre pour tous, afin d´augmenter leur impact. Son éditeur menace de le poursuivre, ainsi que son fournisseur d´accès, pour violation du copyright.

9. Il demande à son éditeur : « Qui le copyright est-il censé protéger ? » Son éditeur lui répond : « Vous ! »

Qu´est-ce qui ne va pas dans cette histoire ?

(Et pourquoi la mère du jeune docteur dont les gens ne peuvent voler les oeuvres qu'il a données gratuitement, et alors même qu´il souhaiterait qu´ils le fassent, se retrouve-t-elle dans la même galère que la mère du musicien dont l´oeuvre en accès payant peut être volée, et l´est de fait, bien qu´il ne le veuille pas ?)

Résoudre l´anomalie :
Comment quelques distinctions essentielles plus quelques actions simples permettraient un retour à la raison

1. Cinq distinctions post-gutenbergiennes essentielles :

Pour comprendre ce qui ne va pas dans cette histoire, on doit d´abord faire cinq distinctions essentielles. Qu'une seule de ces distinctions manque, et il sera impossible de tirer au clair cette histoire ou de résoudre l´anomalie - une anomalie qui n´appartient qu´à l´ère en ligne de l´écriture scientifique « dans le ciel »  [c'est-à-dire lisible par tous, comme les slogans publicitaires tracés par des avions dans le ciel. NdT] dans la « galaxie post-gutenbergienne ».

1.1. Distinguer les textes en accès payant des textes en accès libre

Cette distinction est la plus importante de toutes les distinctions post-Gutenberg. C´est elle qui rend la petite quantité de littérature de recherche scientifique (env. 20 000 revues avec comité de lecture, env. deux millions d´articles par an) anormale - et fondamentalement différente de l´ensemble de ce qui s´écrit : ses auteurs ne recherchent pas, et ne reçoivent d´ailleurs pas, de droits d´auteur ou de rémunérations pour leurs textes. Leurs textes sont donnés en accès libre. Tout ce à quoi ces auteurs aspirent, c´est un « impact » de recherche, qui suppose d´atteindre les yeux et les esprits de tous leurs collègues chercheurs qui peuvent s´y intéresser, partout, aujourd´hui et n´importe quand dans l´avenir.

La question-test pour savoir si un écrit relève du petit secteur de la littérature en accès libre ou de celui, beaucoup plus vaste, de l´accès payant est celle-ci : « L´auteur cherche-t-il à obtenir des droits ou une rémunération en échange de ses écrits ? » Si la réponse est oui (ce qui est le cas pour pratiquement tous les livres et les articles de journaux ou de revues), l´écrit en question appartient au secteur de l´accès payant ; si la réponse est non, il relève de l´accès libre, celui où les textes sont donnés gratuitement.

Rien de ce qui suit ne s´applique aux écrits qui ne sont pas en accès libre. Or le modèle de l´accès payant est celui que la plupart des gens ont en tête pour tout ce qui se publie. Il n´est dès lors pas surprenant que la petite fraction d´écrits n´entrant pas dans ce modèle plus général semble anormale.

1.2. Distinguer les revenus (provenant de la vente des publications) de l´impact (provenant de l´utilisation des publications)

À la différence de tous les autres auteurs, les chercheurs doivent leurs revenus non à la vente de leurs articles scientifiques mais à l´impact de leurs articles sur la communauté des chercheurs, c´est-à-dire au fait d´être lus, cités et utilisés par d´autres chercheurs. Dès lors, tous les obstacles à l´accès constitués par l´acquittement d´un droit constituent des obstacles au revenu de la recherche et des chercheurs. Ces obstacles restreignent la visibilité potentielle des chercheurs et de leur travail, leur impact et leur prise en considération à ceux (principalement les institutions) qui sont en mesure de payer des droits d´accès.

La plupart des institutions n´ayant pas les moyens de payer les droits d´accès à la plupart des revues scientifiques, il en résulte que la plupart des articles scientifiques sont inaccessibles à la plupart des chercheurs ; ce qui signifie que cet impact et cette prise en considération potentiels sont tout bonnement perdus.

On notera que, bien que les chercheurs ne touchent pas de revenus de la vente de leurs articles publiés dans des revues scientifiques (« revenus de publication »), ils touchent un revenu de l´impact de ces articles (« revenus d´impact »).

Si les chercheurs, à la différence des auteurs ne donnant pas gratuitement leurs textes, ne cherchent pas à tirer de revenus de publication de leurs articles scientifiques, c´est tout simplement parce que les conditions d´accès aux revenus de publication constituent des obstacles aux revenus d´impact (contrats de recherche, salaires, promotion, titularisation, prix), qui sont de loin le bénéfice le plus important pour les chercheurs, dont la plupart des articles scientifiques sont à ce point ésotériques qu´ils ne trouvent aucun marché capable de leur assurer un revenu de publication.

1.3. Distinguer entre la protection que donne le copyright contre le vol de la qualité d´auteur (plagiat) et la protection que donne le copyright contre le vol du texte (piratage)

Ces deux aspects très différents de la protection donnée par le copyright ont toujours été confondus parce que c´est la littérature en accès payant, beaucoup plus répandue et représentative, qui a toujours servi de modèle aux lois et aux discussions sur le copyright. Mais la protection que donne le copyright contre le vol de la qualité d´auteur (plagiat), essentielle à la fois pour la littérature en accès libre et pour celle en accès payant, n´a absolument rien à voir avec la protection contre le vol du texte (piratage), protection que veulent les auteurs dont les oeuvres sont en accès payant mais que ne veulent pas ceux qui donnent leurs textes en accès libre. On peut être totalement protégé du plagiat sans rechercher une protection contre le piratage.

1.4. Distinguer l´auto-publication (à compte d´auteur) de l´auto-archivage (de recherches publiées après évaluation par des pairs)

La différence essentielle entre les recherches avec ou sans évaluation réside dans le contrôle de la qualité (évaluation par des pairs) et sa certification (par une revue réputée, de qualité reconnue et ayant un comité de lecture). Bien que les chercheurs aient toujours souhaité que les résultats de leurs recherches soient en accès libre, ils veulent néanmoins que ces résultats soient soumis à une évaluation et déclarés comme ayant répondu à des critères de qualité reconnus. En conséquence, l´auto-archivage de recherches ayant fait l´objet d´une évaluation ne doit en aucune façon être confondu avec l´auto-publication, car il s´agit de l´auto-archivage en ligne, libre pour tous, d´articles de recherche publiés après évaluation.

1.5. Distinguer les prépublications non évaluées des publications après évaluation

(publications électroniques = prépublications + publications)

Les archives électroniques « eprint », qui consistent en des articles de recherche auto-archivés en ligne par leurs auteurs, ne sont pas, et n´ont jamais été, simplement des « archives de prépublication » pour une recherche n´ayant pas fait l´objet d´une évaluation. À cet égard, les auteurs peuvent auto-archiver toutes les phases de la recherche qu´ils souhaitent rendre publiques, depuis les versions embryonnaires qui précèdent la soumission pour évaluation, en passant par les révisions successives, jusqu´à la version imprimée dans une revue après évaluation et, au-delà, jusqu´à toutes les versions ultérieures corrigées, révisées ou mises à jour d´une autre façon (post-publications), de même que tous les commentaires ou réponses qui leur sont associés. Tout ceci ne constitue que des étapes le long du continuum de l´écriture scientifique « dans le ciel ».

2. Ce qui est optimal et inéluctable pour les chercheurs

ï la totalité du corpus des textes évalués mis en ligne

ï sur l´ordinateur de chaque chercheur, partout

ï 24 heures sur 24

ï tous les articles interconnectés par citation

ï entièrement recherchables, navigables, récupérables

ï gratuitement, pour tous, pour toujours

Tout ceci va arriver. La seule véritable question est : « D´ici combien de temps ? » Serons-nous encore en pleine possession de nos moyens et capables d´en bénéficier, ou est-ce que ce sera seulement pour la génération Napster ? Les futurs historiens, la postérité et l´impact scientifique avorté qui aura été le nôtre sont déjà en situation de nous adresser des reproches rétrospectifs.

Que peut faire la communauté scientifique pour hâter ce qui est optimal et inéluctable ? Voici quelques concepts récents susceptibles d´aider :

3. Deux catégories utiles, une nouvelle distinction et un nouvel allié

3.1. Abonnements, droits d´accès, paiement à la carte : les obstacles à l´accès et à l´impact

Les droits d´abonnement (et leurs variantes : droits d´accès et paiements à la carte) sont des obstacles à l´accès, et donc des obstacles à l´impact, pour les chercheurs et pour la recherche qu´ils donnent gratuitement. L´abonnement est le moyen pour un éditeur de revue de compenser ses frais et de faire un profit équitable. Les coûts élevés étaient inévitables durant l´ère gutenbergienne sur papier, dispendieuse et inefficace ; mais aujourd´hui, à l´ère post-Gutenberg en ligne, le fonctionnement à la vieille manière gutenbergienne, avec ses coûts élevés, doit être tenu (uniquement pour cette littérature en accès libre ; pas pour la littérature fonctionnant sur la base de droits d´auteur !) comme relevant du complément en option plutôt que de l´instrument indispensable qu´il était précédemment.

Attention aux idées de « valeur ajoutée » indispensable, dans laquelle la littérature scientifique évaluée par des pairs devrait, par implication, continuer d´être inextricablement enveloppée. Le seul service indispensable encore fourni par les éditeurs de revues (pour cette littérature hors normes de l´ère post-gutenbergienne, donnée en accès libre par les auteurs) est l´évaluation elle-même.

Les autres services - versions sur papier, reproductions de pages en format PDF en ligne, fioritures haut de gamme en ligne - ont tous leur intérêt, sans doute, mais seulement comme des options à prendre ou à laisser. Dans l´ère en ligne, il n´y a plus aucune nécessité à maintenir la recherche évaluée prisonnière des droits d´abonnement et de quelques fioritures qui se trouvent être payées par ces droits - et il n´y a donc plus aucune justification à le faire.

Attention aussi à toute proposition de remplacer l´abonnement par un droit d´accès, ou le droit d´accès par le paiement à la carte. Choisissez votre poison, chacune des trois formules constitue un obstacle à l´accès et donc à l´impact, et doit donc disparaître - ou plutôt n´être désormais qu´un prix à payer éventuellement pour des options haut de gamme proposées au chercheur et à son institution, et non plus pour l´essentiel qui est le travail évalué, et qui peut désormais être auto-archivé gratuitement pour tous.

3.2. Contrôle de qualité et certification : évaluation par les pairs

L´évaluation par les pairs elle-même - le système par lequel des experts qualifiés contrôlent et certifient la qualité du travail de collègues eux aussi experts - n´est pas une option de luxe pour la recherche et les chercheurs : ce service de contrôle de la qualité et sa certification sont  essentiels. Sans le contrôle de la qualité, la littérature scientifique ne serait ni fiable ni navigable, sa qualité serait non contrôlée, non filtrée, non estampillée, inconnue, inutilisable, et personne n´aurait à en rendre compte.

Mais les pairs qui effectuent cette évaluation des oeuvres de recherche pour les revues sont les chercheurs eux-mêmes, et ils l´effectuent gratuitement, exactement comme des chercheurs rendent compte gratuitement de leurs recherches. Il doit donc être tout à fait clair que le seul véritable coût du contrôle de la qualité est celui de l´organisation du processus d´évaluation par les pairs, et non son exécution effective.

Des estimations (par ex. Odlyzko 1998), tout comme l´expérience effective de revues n´existant qu´en ligne (par ex. le Journal of High Energy Physics http://jhep.cern.ch/; ou Psycoloquyhttp://www.cogsci. soton.ac.uk/psycoloquy/) ont montré que l´organisation du contrôle de la qualité était d´un coût très faible - environ 10 % du coût total que les bibliothèques institutionnelles dans le monde (ou plutôt le petit sous-ensemble de celles qui peuvent assumer les coûts de quelque revue que ce soit) paient actuellement chaque année par article en droits d´abonnement.

Une fois que les 90 % de compléments payés par abonnement deviennent optionnels, les 10 % indispensables au contrôle de la qualité pourraient être aisément payés à partir des économies de 100 % réalisées sur les abonnements - si jamais les bibliothèques à travers le monde décident qu´elles n´ont plus besoin de ces fioritures. (Les autres 90 % économisés peuvent être utilisés à l´achat d´autres choses, par exemple de livres qui ne sont pas, et ne seront jamais donnés en accès libre par leurs auteurs.)

3.3. Séparer (a) la fourniture de services de contrôle de la qualité de (b) la fourniture d´accès aux publications électroniques [et (c) aux compléments en option]

Les chercheurs n´ont pas besoin et ne devraient pas attendre que les éditeurs de revues décident d´eux-mêmes de séparer la fourniture du service indispensable de contrôle de la qualité de tous les autres produits complémentaires en option (version papier, version PDF d´éditeur, fioritures haut de gamme) pour que la recherche évaluée qu´ils donnent en accès libre puisse enfin être libérée de tous les obstacles à l´accès et à l´impact.

Tous les chercheurs peuvent dès à présent libérer leur propre recherche, pratiquement du jour au lendemain, en prenant les choses en mains ; ils peuvent l´auto-archiver dans les archives électroniques de leur institution : http://www.eprints.org. L´accès aux versions électroniques de leur recherche est alors immédiatement, et pour toujours, libéré de tous les obstacles liés à l´abonnement.

3.4. Interopérabilité : l´initiative des Archives ouvertes

Les articles auto-archivés par leurs auteurs dans leurs archives électroniques institutionnelles peuvent être accessibles à tous, où que ce soit, sans qu´il soit besoin de connaître leur localisation effective, parce que toutes les archives électroniques sont conformes au protocole d´étiquetage des méta-données pour l´interopérabilité, tel qu´il est mis au point par l´initiative des Archives ouvertes :

http://www.openarchives.org.

Étant conformes aux critères des Archives ouvertes, les articles publiés dans toutes les archives électroniques enregistrées peuvent être collectés et recherchés par les services d´archives ouvertes tels que Cite-Base http://cite-base.ecs.soton.ac.uk/help/index.php3 et le Cross Archive Searching Service http://arc.cs.odu.edu/, ce qui fournit un accès sans obstacle à toutes les publications électroniques, à travers toutes les archives électroniques, comme si ces publications étaient toutes dans une seule archive virtuelle globale.

4. La proposition subversive

4.1. Assez pour libérer l´intégralité du corpus évalué, immédiatement et pour toujours :

Huit étapes seront décrites ici. Les quatre premières ne sont en aucune façon hypothétiques ; il est garanti qu´elles libèrent immédiatement toute la littérature scientifique (env. 20 000 revues  par an) des obstacles à son accès et à son impact. Tout ce qu´ont à faire les chercheurs et leurs institutions, c´est mettre en oeuvre ces quatre premières étapes. Les quatre étapes suivantes sont des prédictions hypothétiques, mais rien ne dépend d´elles : la littérature scientifique sera déjà libre pour chacun, ce qui résultera des mesures I-IV, et ce quoiqu´il advienne des prédictions V-VIII.

I. Les universités installent et enregistrent des archives électroniques compatibles avec les normes des Archives ouvertes (http://www.eprints.org)

Le logiciel Eprints pour les archives électroniques est libre et en "open source". Lui-même n´utilise que des logiciels libres ; il est rapide, facile à installer et entretenir ; il est compatible avec les normes des Archives ouvertes et sera maintenu compatible avec chaque mise à jour des Archives ouvertes : http://www.openarchives.org/.

Les archives électroniques sont toutes en interopérabilité les unes avec les autres et peuvent dès lors être collectées et recherchées comme si elles faisaient toutes partie d´une archive « virtuelle » globale, recherchable, de toute la littérature scientifique, à la fois avant et après évaluation.

II. Les auteurs auto-archivent leurs prépublications avant évaluation et leurs publications après évaluation dans les archives électroniques de leurs universités respectives

Cette étape est la plus importante : il ne suffit pas de créer des archives électroniques. S´il s´agit de libérer la littérature des obstacles à son impact et à son accès, tous les chercheurs doivent y auto-archiver leurs articles. L´auto-archivage est rapide et facile ; on ne le fait qu´une fois par article. Le résultat en est permanent et il est, en permanence et automatiquement,  téléchargeable sur les mises à jour des archives électroniques et du protocole des Archives ouvertes.

III. Les universités subventionnent, là où c´est nécessaire, une première vague de démarrage de l´auto-archivage par procuration

L´auto-archivage est rapide et facile, mais il n´est pas nécessaire de retarder sa mise en place si des chercheurs se sentent trop occupés, fatigués, vieux ou incapables, pour quelque autre raison, de le faire par eux-mêmes. Du personnel de bibliothèque ou des étudiants peuvent être payés pour « auto-archiver » à leur place par procuration un premier lot d´articles. Le coût par article en sera négligeable, et les bénéfices immenses ; de plus, une seconde vague d´aide ne sera pas nécessaire une fois que les bénéfices palpables (d´accès et d´impact) de cette libération de la littérature commenceront à être perçus par la communauté des chercheurs. Une fois ses bénéfices palpables, l´auto-archivage deviendra une seconde nature pour tous les chercheurs.

IV. Le corpus en accès libre est libéré en ligne de toutes les limitations d´accès et d´impact

Une fois qu´une masse critique de chercheurs aura procédé à l´auto-archivage, la littérature scientifique sera enfin libre de tout obstacle à l´accès et à l´impact, ainsi qu´elle a toujours eu vocation à l´être.

4.2. Suite hypothétique :

Les étapes I-IV suffisent pour libérer la littérature scientifique. On peut aussi supposer ce qui se passera ensuite, mais il ne s´agit là que de suppositions. Et rien ne dépend non plus du fait que ces suppositions soient ou non correctes. Car même si aucun autre changement ne se produit - même si les universités continuent de dépenser exactement les mêmes montants qu´aujourd´hui en frais d´abonnement - la littérature scientifique aura été libérée, pour toujours, de tous les obstacles mis à son accès et à son impact.

Cependant, la libération de la littérature par l´auto-archivage des auteurs et des institutions entraînera sans doute certains changements. Voici en quoi ils pourraient consister :

V. Les utilisateurs préféreront-ils la version libre ?

Une fois que sera disponible en ligne une version libre des articles scientifiques, il est probable que ce seront tous les chercheurs qui préféreront utiliser les versions libres en ligne et pas seulement ceux qui ne pouvaient y avoir accès jusque-là, leur institution ne pouvant payer les abonnements.

Remarquez qu´il est tout à fait possible qu´un marché perdure pour les options sur abonnement (version papier, version PDF en ligne d´éditeur, version avec fioritures haut de gamme) même si la plupart des utilisateurs se servent des versions libres. Cela est sans conséquence.

VI. Les revenus d´abonnements pour les éditeurs diminueront-ils, les économies d´abonnements pour les bibliothèques augmenteront-ils ?

Si les chercheurs préfèrent utiliser les textes en ligne libres d´accès, il est possible que les bibliothèques se mettent à annuler leurs abonnements. À mesure que les économies d´abonnement augmenteront pour les bibliothèques, le revenu des abonnements diminuera pour les éditeurs. L´importance des annulations dépendra de la persistance plus ou moins longue d´un marché pour les compléments sur abonnement.

Si le marché des abonnements demeure suffisamment important, rien d´autre ne changera.

VII. Les éditeurs limiteront-ils leur activité à la fourniture du service du contrôle de la qualité plus d´éventuels compléments en option ?

La mesure dans laquelle les éditeurs de revues auront à limiter leur activité à la seule fourniture de l´indispensable dépendra entièrement de la taille du marché restant pour les options sur abonnement. Le seul service essentiel et indispensable est le contrôle de la qualité.

VIII. Les coûts du contrôle de la qualité seront-ils pris en charge par l´université agissant en tant qu´institution d´auteurs et puisant dans ses économies d´abonnement réalisées en tant qu´institution de lecteurs ?

Si les éditeurs peuvent continuer à couvrir leurs coûts et à tirer un profit décent du marché des compléments en option sur abonnement sans devoir réduire leur activité à la seule fourniture du contrôle de la qualité, il y aura peu de changement.

Si, en revanche, les éditeurs doivent renoncer à fournir des produits sur abonnement et réduire, au contraire, leur activité à la seule fourniture du service de contrôle de la qualité, alors les universités, ayant économisé 100 % de leur budget d´abonnement annuel, disposeront chaque année de l´aubaine que représenteront ces économies. Ceci leur permettra de financer les frais (10 %) qu´encourront leurs chercheurs pour soumettre leurs travaux au contrôle de la qualité fourni par les revues, contrôle qui restera essentiel. Ces universités pourront dépenser le reste de leurs économies (90 %) à leur guise (par exemple en livres - plus un peu pour l´entretien de l´archivage électronique).

5. Problèmes du copyright post-gutenbergien

Le copyright à l´ère digitale pose un certain nombre de problèmes, qui ne sont pas tous simples à résoudre (que faire, par exemple, au sujet du piratage des logiciels et de la musique ?). Mais rien de tout cela ne doit nous retenir, le piratage digital ne représentant un problème que pour les oeuvres qui ne sont pas en accès libre, alors que seules nous intéressent ici les oeuvres en accès libre. (Encore une fois, ne pas faire la distinction entre accès libre et accès non libre ne peut que prêter à confusion, et conduire à l´application abusive du modèle de l´accès non libre, qui est certes beaucoup plus répandu et beaucoup plus représentatif, au corpus particulier en accès libre, auquel il ne convient pas.)

Les questions suivantes portant sur le copyright digital ne concernent que la littérature en accès payant :

5.1. Protéger la propriété intellectuelle (droits d´auteur)

Ce point concerne tout autant les auteurs de livres que les auteurs de scénarios, de musique et de logiciels. C´est également une préoccupation pour les artistes qui ont réalisé des enregistrements audio et vidéo de leur travail. Ils ne veulent pas voir voler ce travail ; ils veulent toucher la part des recettes qui leur revient en rétribution de leur talent et des efforts qu´ils ont déployés.

Mais les auteurs d´articles scientifiques ne souhaitent pas de protection contre un « vol » de ce genre ; au contraire, ils veulent l´encourager. Ils n´ont aucun droit d´auteur à préserver ; ils n´ont que de l´impact sur la recherche à perdre si l´accès est entravé de quelque façon que ce soit.

5.2. Empêcher une utilisation abusive

La question de l´« utilisation abusive » relève, elle aussi, d´un souci respectable. Sont en cause certaines utilisations, souvent à des fins d´enseignement, pouvant faire l´objet de sanctions, de matériel en accès payant, tel que tout ou partie de livres, d´articles de magazines, etc. Les auteurs de ces travaux ne veulent généralement pas perdre des revenus potentiels en droits d´auteur.

Les auteurs d´articles scientifiques, par contraste, veulent donner leur travail librement ; aussi les problèmes d´utilisation abusive ne se posent-ils pas pour cette littérature particulière qui est en accès libre.

5.3. Empêcher le vol de texte (piratage)

Les auteurs d´articles de recherche ne souhaitent pas empêcher le vol de leurs textes ; ils veulent le faciliter autant que possible (à l´époque du papier imprimé, ils avaient pour habitude d´acheter et d´envoyer à leurs frais des tirés à part de leurs textes à ceux qui leur en demandaient !).

La question suivante portant sur le copyright digital concerne toute la littérature, celle en accès libre et celle en accès payant :

5.4. Prévenir le vol de la qualité d´auteur (plagiat)

Aucun auteur ne veut qu´autrui prétende être l´auteur de son oeuvre. Cette préoccupation est partagée par tous les auteurs, que leurs oeuvres soient en accès libre ou en accès payant. Mais elle n´a strictement rien à voir avec les préoccupations concernant le vol du texte, et ne doit en aucune façon être confondue avec elles : on ne doit pas, sous prétexte de « protéger » la qualité d´auteur des travaux en accès libre, appliquer à ces travaux des considérations qui concernent le vol de textes en accès payant. (Malheureusement, c´est précisément ce que font de nombreux éditeurs de revues dans la façon dont ils tentent de formuler et d´utiliser les contrats de copyright, ce dont les auteurs doivent bien prendre conscience.)

La question suivante portant sur le copyright digital ne concerne que la littérature en accès libre :

5.5. Garantir le droit de l´auteur de donner ses textes en accès libre

En dehors de la protection du plagiat et la reconnaissance d´une priorité, recherchées par tous les auteurs, la seule « protection » que recherche l´auteur d´articles scientifiques qui donne ses oeuvres en accès libre est précisément la protection de son droit de les donner en accès libre !

(Le modèle intuitif est ici la publicité : quel annonceur voudrait perdre son droit de mettre ses publicités gratuitement à la portée de tous et diminuer leur impact potentiel en faisant payer un droit d´accès !)

Eh bien, les auteurs de travaux de recherche soumis à évaluation n´ont pas de souci à se faire quant à l´exercice de leurs droits de donner leurs textes en accès libre. Ils peuvent le faire légalement même dans le cadre des contrats de transfert de copyright les plus restrictifs, en se servant de la stratégie suivante.

6. Comment contourner légalement un copyright restrictif
(la « stratégie d´Harnad/Oppenheim »)

6.1. Auto-archiver la prépublication avant évaluation

Auto-archiver la prépublication est la première mesure indispensable. Avant même d´avoir été soumise à une revue, votre propriété intellectuelle n´appartient qu´à vous, et n´est liée par aucun éventuel contrat futur de transfert de copyright. Donc, archivez les prépublications (comme le font les physiciens depuis dix ans maintenant, avec environ 150 000 articles, et les chercheurs en sciences cognitives depuis trois ans, avec plus de 1 000 articles). C´est une bonne façon d´établir une priorité, de susciter des commentaires informels et de conserver une trace publique de l´embryologie de la connaissance.

[Remarquez que, outre les règles de copyright, qui relèvent du droit, certaines revues ont des règles d´embargo, qui relèvent seulement de leur politique éditoriale (et non du droit). Invoquant la « Règle d´Ingelfinger (sur l´embargo) », certaines revues décrètent qu´elles ne vont pas évaluer (et encore moins publier) des articles qui auront auparavant été « rendus publics » d´une manière ou d´une autre, par des colloques, des communiqués de presse ou un auto-archivage en ligne. La Règle d´Ingelfinger, outre qu´elle est directement en contradiction avec les intérêts de la recherche et des chercheurs, et n´a pas la moindre justification intrinsèque - sinon comme un moyen pour les revues de protéger leurs sources de revenus -, ne relève pas du droit et n´est pas contraignante. Aussi les chercheurs seraient-ils bien avisés de l´ignorer totalement, exactement comme l´ont fait depuis dix ans maintenant les auteurs des 150 000 articles de Physics Archive. La « Règle d´Ingelfinger » fait de toute façon l´objet d´un réexamen par certaines revues ; Nature l´a déjà abandonnée et certains signes indiquent que Science pourrait bien en faire autant prochainement.]

6.2. Soumettez la prépublication pour évaluation (révision, etc.)

Rien ne change dans les pratiques de publication des auteurs ; rien n´a besoin d´être abandonné. Soumettez votre prépublication pour évaluation à la revue de votre choix, et révisez-la comme à l´accoutumée, conformément aux instructions éditoriales et aux avis rendus par les évaluateurs.

6.3. Après acceptation, essayez d´établir un accord de transfert de copyright qui permette l´auto-archivage

Les contrats de transfert de copyright prennent des formes diverses. S´ils n´autorisent pas explicitement l´auto-archivage en ligne, modifiez-en la formulation de façon à ce qu´il soit autorisé. Voici un exemple de la manière dont ceci peut être formulé (http://cogprints.soton.ac.uk/copyright.html):

Je délègue à [l´éditeur ou la revue] tous les droits de vendre ou céder le texte (sur papier et en ligne) de mon article [titre de l´article]. Je ne conserve que le droit de le diffuser gratuitement à des fins scientifiques, en particulier le droit de l´auto-archiver publiquement en ligne sur le Web.

Certains éditeurs (environ 10 %) autorisent déjà explicitement l´auto-archivage des publications évaluées (par ex. l´American Physical Society : ftp://aps.org/pub/jrnls/copy_trnsfr.asc). La plupart des autres éditeurs (peut-être 70 %) accepteront cette clause, mais seulement si vous la proposez explicitement vous-même (ils ne prendront pas l´initiative de sa formulation).

6.4. Si 6.3. réussit, auto-archivez la publication évaluée

Dès lors, pour environ 80 % des revues, une fois fait comme je viens de le suggérer, vous pouvez poursuivre et auto-archiver votre article.

Certaines revues (environ 20 %) répondront qu´elles refusent de publier votre article à moins que vous ne signiez tel quel leur contrat de transfert de copyright. Dans ce cas, signez-le et passez à l´étape suivante :

6.5. Si 6.3. ne réussit pas, archivez les « corrigenda »

Votre prépublication avant évaluation a été auto-archivée avant que vous ne la soumettiez pour avis, et elle n´est pas couverte par l´accord de copyright, lequel porte sur la version finale révisée (« à valeur ajoutée »). Donc, tout ce qu´il vous reste à faire, c´est auto-archiver un dossier additionnel de « corrigenda », relié à la prépublication archivée, qui liste simplement les corrections que le lecteur peut vouloir apporter pour mettre la prépublication à jour de la version évaluée acceptée.

À ce stade, tout le monde s´esclaffe, mais ce qui rend un tel procédé aussi facile c´est qu´il concerne les textes donnés gratuitement par l´auteur. Il ne viendrait à l´esprit d´aucun auteur de littérature non donnée librement d´en faire autant (c´est-à-dire d´archiver la prépublication gratuitement, avec les corrigenda). Et les contrats de copyright (de même que la loi sur le copyright) sont conçus et élaborés pour répondre aux intérêts autrement plus représentatifs des auteurs en accès payant, et à la masse autrement plus volumineuse des oeuvres qui génèrent des droits d´auteurs. Aussi cette formule, simple et légale, propre à cette catégorie restreinte, spéciale et atypique, de la littérature donnée en accès libre n´a-t-elle aucune autre sphère d´application.

Cependant cette stratégie simple et risible est en même temps faisable, et légale (Oppenheim 2001) - et suffisante pour libérer immédiatement la totalité du corpus des publications scientifiques de toutes les barrières mises à leur accès et à leur impact !

7. Ce que vous pouvez faire maintenant pour libérer en ligne la littérature scientifique

7.1. Chercheurs : auto-archivez tous vos articles présents, à venir (et passés)

Libérer leur recherche évaluée, présente et à venir, de tous obstacles à l´accès et à l´impact, dépend désormais entièrement des chercheurs. La postérité nous regarde déjà et ne portera pas sur nous un jugement flatteur si nous continuons à retarder sans raison l´optimal et inéluctable, qui est clairement à notre portée. Les physiciens ont montré le chemin, mais au rythme où se déroule leur auto-archivage, même à eux il faudra encore une décennie pour libérer la totalité de ce qui a paru en physique (http://www.cogsci.soton.ac. uk/~harnad/Tp/Tim/sld002.htm). Le rythme des sciences cognitives en la matière (http://cogprints. soton.ac.uk) est 39 fois plus lent.

Quant à la plupart des autres disciplines, elles n´ont tout bonnement pas commencé : http://www.cogsci. soton.ac.uk/~harnad/Tp/Tim/sld004.htm.

Voilà pourquoi on espère qu´avec l´aide du logiciel eprints.org destiné à la création des archives par les institutions, un auto-archivage distribué dans les institutions - qui constitue un complément, à la fois puissant et naturel, à l´auto-archivage central, par disciplines - va maintenant élargir et accélérer l´initiative de l´auto-archivage et nous conduire tous enfin au but, celui d´un corpus diffusé dans sa totalité et intégré grâce aux liens de l´interopérabilité (http://www.openarchives.org).

La stratégie de prépublication + corrigenda d'Harnad et Oppenheim ne fonctionnera pas pour les textes déjà publiés mais ceux-ci n´apportant pratiquement pas de revenus, la plupart des éditeurs accepteront un auto-archivage des auteurs après un délai suffisant (6 mois à 2 ans). De plus, on ne sait pas clairement si, pour les textes vraiment anciens, l´auto-archivage en ligne est vraiment couvert par les anciens contrats de copyright.

Et même si tout le reste échoue pour les textes déjà publiés, on peut toujours recourir à une variante de la stratégie d´Harnad/Oppenheim. Il vous suffira de faire une deuxième version révisée ! Mettez vos références à jour, arrangez le texte (ajoutez-en, ainsi que des données, si vous le voulez). Pour l´archivage, la version améliorée peut être accompagnée d´un dossier de « de-corrigenda » qui précise quelles améliorations ne figuraient pas dans la version publiée.

(Et si vous n´avez pas conservé dans votre ordinateur votre texte digital, le document de départ pour cette deuxième version, révisée et améliorée, peut bien sûr être scanné et copié par reconnaissance optique de caractères à partir de la revue : en les diffusant de la sorte, les auteurs peuvent effectuer gratuitement pour leurs propres travaux ce que JSTOR http://www.jstor.org ne peut effectuer que pour les travaux des autres, et de façon payante.)

7.2. Universités : installez les archives électroniques ; rendez-les obligatoires ; aidez au démarrage des auteurs

Les universités devraient créer des archives électroniques institutionnelles (par ex. CalTech) pour tous leurs chercheurs. Elles devraient aussi y rendre l´archivage obligatoire. Mettre et actualiser leur CV en ligne sur le Web est en train de devenir pratique courante chez les universitaires : de même, il faudrait que cela devienne une pratique courante de lier chaque mention dans le CV d´un article de revue à une version en texte intégral, archivée dans les archives électroniques de l´université.

Pour les chercheurs se disant trop occupés, fatigués, vieux ou incapables d´archiver eux-mêmes leurs articles, consacrer un modeste budget de démarrage, qui paierait des bibliothécaires ou des étudiants pour le faire à la place de ces chercheurs, représenterait un bon et modeste investissement. Il suffira d´effectuer la première vague de cet auto-archivage par procuration ; l´amélioration de l´accès et de l´impact qui en découleront créeront une dynamique propre, et l´auto-archivage deviendra une pratique aussi courante que le courrier électronique.

Mais ce qui requiert un encouragement et un soutien de départ énergiques, c´est bien cette première vague. La perspective (a) d´un meilleur accès pour leurs chercheurs aux recherches menées par d´autres et (b) d´une meilleure visibilité (Lawrence 2001) de leurs propres recherches et, dès lors, un meilleur impact sur celles d´autres chercheurs devraient inciter les universités à promouvoir et soutenir énergiquement l´initiative de l´auto-archivage. Si cela ne suffit pas à les convaincre, qu´elles prennent aussi en compte le fait que, ce faisant, elles investiront dans (c) une solution potentielle à la crise des périodiques et une possible récupération de 90 % de leur budget annuel d´abonnement à ces périodiques.

(Notez que le succès de l´initiative d´auto-archivage est fondé sur la Règle d´Or qui sert de fondement à l´évaluation et à la recherche elles-mêmes. Si chacun aide les autres, tous en profitent. Donnez afin de recevoir...)

7.3. Bibliothèques : entretenez les archives électroniques de l´université ; aidez au démarrage des auteurs

Les bibliothèques sont les premiers alliés naturels des chercheurs dans l´initiative d´auto-archivage destinée à libérer la littérature scientifique. Non seulement elles pâtissent de la crise budgétaire liée au coût croissant des périodiques, mais, de surcroît, les bibliothécaires sont impatients de se constituer un nouvel espace digital une fois que l´ensemble des revues aura été mis en ligne : entretenir les archives électroniques et faciliter la vague initiale de l´auto-archivage, qui est de la plus haute importance (en étant prêtes à assurer l´auto-archivage « par procuration » pour les auteurs qui ne se sentent pas capables de le faire pour eux-mêmes) donnera aux bibliothèques un rôle essentiel à jouer.

Les bibliothèques peuvent aussi faciliter une transition ordonnée grâce au pouvoir collectif qui est le leur (SPARC: http://www.arl.org/sparc), en appuyant les éditeurs de revue qui sont prêts à s´engager, dans un certain délai, à réduire leur activité à ses seules fonctions indispensables (le service d´évaluation par les pairs rendu aux auteurs et aux institutions). Elles peuvent aussi, individuellement, se préparer à la restructuration qui découlera des économies qui seront progressivement réalisées sur les abonnements ; environ 10 % de ces économies annuelles devront être réorientées pour couvrir les charges qui incomberont aux universités pour assurer le contrôle de qualité des articles de leurs chercheurs. Les 90 % restant seront à dépenser comme bon leur semblera !

7.4. Étudiants : Gardez le cap ! Surfez ! Le futur est optimal, inéluctable - et il vous appartient !

Les étudiants ont tout intérêt à continuer à faire ce qu´ils font naturellement : préférer le matériel librement accessible sur le Web. Cela ne leur procurera guère de littérature en accès payant, mais représentera une pression des consommateurs en faveur de la littérature en accès libre, et ce d´autant plus que ces étudiants vieillissent et deviennent à leur tour des chercheurs.

7.5. Éditeurs de revues : soyez réalistes et acceptez l´auto-archivage et préparez-vous à distinguer les coûts indispensables du service de contrôle de la qualité (qui incomberont aux institutions d´auteurs) des coûts des suppléments en option (qui incomberont aux institutions de lecteurs)

Les éditeurs devraient concéder gracieusement l´auto-archivage comme l´a fait l´American Physical Society (APS) et ne pas essayer de recourir à une politique de copyright ou d´embargo pour empêcher ou retarder cet auto-archivage. De telles mesures sont en conflit direct avec les intérêts de la recherche et des chercheurs, elles sont vouées à l´échec, elles peuvent déjà être légalement contournées, et elles ne font que donner une mauvaise image des éditeurs.

Une bien meilleure politique consiste à faire des concessions sur ce qui est optimal et inévitable pour la recherche, et à prévoir la possibilité de séparer le fait de fournir le service indispensable de contrôle de la qualité à l´institution d´auteurs (les coûts, par article, de l´organisation d´une évaluation par des pairs) du fait de fournir tous les autres produits optionnels (par exemple version sur papier, version en ligne, autres fioritures), qui devraient être vendus comme des options plutôt qu´utilisés pour essayer de tenir ce qui est l´essentiel (la version évaluée finale) prisonnier des coûts d´abonnement.

Il y aura néanmoins toujours un espace pour les éditeurs de revues. Ce qui reste à voir, c´est si tout cela va entraîner une réduction de leur activité à la seule fourniture d´un service de contrôle de la qualité, ou s´il continuera d´y avoir un marché pour les options sur abonnements, même quand des versions des textes évaluées seront librement disponibles grâce aux archives électroniques.

7.6. Gouvernement/société : prescrivez à l´échelle mondiale un archivage public de la recherche publique

Le gouvernement et la société devraient soutenir l´initiative d´auto-archivage en se rappelant que la plus grande part de cette recherche mise en accès libre a été soutenue par des fonds publics, et que la diffusion publique des résultats de la recherche constituait une clause explicite du soutien ainsi accordé  (http://www.sciencemag.org/cgi/content/full/281/5382/1459).

Dans la galaxie post-gutenbergienne on n´a plus besoin que cette accessibilité publique soit bloquée par des barrières d´abonnement.

Les bénéficiaires n´en seront pas seulement la recherche et les chercheurs, mais aussi la société elle-même, dans la mesure où la recherche est soutenue en raison des bénéfices potentiels qu´elle représente pour la société. Les chercheurs des pays en voie de développement ou travaillant dans les universités et institutions de recherche les moins riches des pays développés bénéficieront plus encore d´un accès sans barrière à la littérature scientifique que ne le feront les institutions mieux dotées, mais il est bon que nous nous rappelions que même les plus riches d´entre les bibliothèques universitaires ne peuvent se permettre de souscrire à la plupart des revues scientifiques ! Aucune d´entre elles n´a accès à plus qu´un petit sous-ensemble du corpus entier qui paraît chaque année (http://fisher.lib.virginia.edu/arl/index.html). Aussi l´accès libre à tout le corpus bénéficiera-t-il à toutes les institutions (Odlyszko 1999a, 1999b).

Et contrepartie de l´accès sans obstacle au travail des autres, tous les chercheurs, même les plus riches, tireront un bénéfice de l´impact sans obstacle de leur propre travail sur le travail des autres. De surcroît, une littérature de recherche digitale libérée et interopérable ne va pas seulement améliorer, de façon radicale, l´accès, la navigation (par ex. le lien par citation) et l´impact, et, par là même, la qualité et la productivité de la recherche, mais elle va aussi développer de nouvelles façons de contrôler et de mesurer cet impact, cette productivité et cette qualité (par exemple le taux de téléchargement, les liens, l´immédiateté, les commentaires et la dynamique d´ordre supérieur d´un corpus relié par des citations, qui peut être analysé depuis la prépublication jusqu´à la post-publication) produisant ainsi une « embryologie de la connaissance » (Harnad & Carr 2000).

Stevan Harnad

Traduction de Nadine Fresco.

Ce texte est une version remaniée et mise à jour de l'article « For Whom the Gate Tolls? », déjà archivé sur Internet : http://www.cogsci.soton.ac.uk/~harnad/Tp/ resolution.htm/